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La route difficile de l’électrification

La route difficile de l’électrification

Par Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal

Avec le prix de l’essence qui atteint des niveaux jamais vus, on pourrait facilement penser qu’il sera facile de passer à la voiture électrique. En effet, qui aime payer la facture à la pompe ?

Début mars 2022, le prix moyen de l’essence ordinaire atteignait près de 2 $/litre dans certaines régions du Québec. Du jamais vu ! Alors que les Québécois parcourent environ 14 000 km par an avec leur véhicule, et que la consommation moyenne du parc automobile est de 9,3 litres/100 km (selon Ressources naturelles Canada), on dépasse très rapidement les 2 600 $ d’essence par an, soit plus de 50 $ par semaine.

Le gouvernement ne semble pourtant pas croire que les voitures à essence seront abandonnées par elles-mêmes. Il a, en effet, fixé l’objectif de 1,5 million de voitures électriques (VÉ, soit des véhicules hybrides ou entièrement électriques) sur les routes en 2030 et va interdire la vente de véhicules à essence en 2035. Pour aider le Québec à atteindre ces objectifs, plusieurs mesures sont mises en place. Elles démontrent que les choix individuels, sans incitatifs ou contraintes, ne permettraient sans doute pas d’y arriver.

Les trois grandes mesures du gouvernement du Québec

Un prix à la pompe plus cher pour les émissions de GES

D’abord, le marché du carbone, qui met un prix sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) sortant du pot d’échappement des voitures à essence. Chaque litre consommé émet 2,3 kg de CO2 (le principal GES), ce qui ajoute 8,5 ¢/litre, selon le prix de 37 $/tonne de GES qui prévalait à la fin février. Le prix de l’essence affiché à la pompe inclut ce prix pour les émissions de GES, que les consommateurs n’ont pas le choix de payer. C’est un peu dissuasif… mais pas encore assez pour convaincre beaucoup de gens de changer leurs habitudes de transport.

Une subvention pour les véhicules électriques

Le second incitatif du gouvernement est de réduire le prix des VÉ en accordant une subvention de 8 000 $. Le gouvernement fédéral donne lui aussi 5 000 $, ce qui totalise un rabais de 13 000 $. Entre 2021 et 2026, Québec entend ainsi distribuer 1,1 milliard de dollars aux acheteurs de VÉ. Mais ce montant ne permettra de subventionner que moins de 140 000 VÉ… alors que l’objectif est de 1,5 million pour 2030. Si le prix des VÉ diminue assez, la subvention à l’achat pourrait ne plus être nécessaire.

La norme véhicules zéro émission (VZÉ)

N’ayant sans doute pas assez confiance dans la diminution des prix, le gouvernement a imposé un troisième levier : la Loi visant l’augmentation du nombre de véhicules automobiles zéro émission ou « norme véhicules zéro émission (VZÉ) ». Cette norme va imposer aux constructeurs automobiles de vendre un pourcentage sans cesse croissant de VÉ, à défaut de quoi ils devront payer d’importantes pénalités financières. Cette norme VZÉ est très complexe dans les détails, mais elle va progressivement contraindre les constructeurs automobiles à mettre une plus grande proportion de VÉ dans leur offre. Cela devrait stimuler la vente de VÉ, au détriment des véhicules à essence.

Des tendances de consommation qui nuisent à l’électrification

Ces trois mesures sont assez importantes, mais elles pourront difficilement contrer la vague de fond qui déferle sur nos routes : l’engouement des consommateurs pour toujours plus de véhicules, et des véhicules plus gros. Entre 2000 et 2020, alors que la population du Québec augmentait de 21 %, le parc de véhicules augmentait de 46 %. La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) rapporte aussi que le poids moyen des véhicules est passé en 20 ans de moins de 1 300 kg à plus de 1 550 kg (+20 %), essentiellement parce que les nouveaux véhicules sont plus gros. Évidemment, un véhicule neuf plus gros coûte plus cher et consomme plus d’essence qu’un modèle plus petit. Les consommateurs ont jusqu’à maintenant été prêts à ouvrir leur portefeuille. C’est une tendance très problématique pour l’électrification, parce que les gros véhicules ont besoin de davantage de batteries pour être électrifiés, et que ce sont les batteries qui coûtent cher dans les VÉ. Plus les consommateurs voudront de gros véhicules, plus il faudra des batteries, plus les véhicules seront chers.

En somme, même si l’offre de VÉ se diversifie et que le gouvernement met en place différentes mesures pour aider et contraindre le marché vers les VÉ, les consommateurs feront difficilement le saut vers l’électrique, parce qu’ils apprécient beaucoup les véhicules plus spacieux et que ceux-ci sont moins abordables. Si en plus les taux d’intérêt montent, cela pénalisera l’achat de nouveaux véhicules augmentant les frais de financement, et les consommateurs auront tendance à conserver leurs véhicules à essence plus longtemps… retardant l’électrification.

Pour les consommateurs qui veulent économiser, il reste toujours les mesures déjà bien connues : l’écoconduite (rouler moins vite, à vitesse constante, sans accélération brusque), la réduction des déplacements (par une meilleure planification), le covoiturage et, lorsque c’est possible, prendre le transport en commun, son vélo ou faire une promenade à pied !