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Pertinence pour le consommateur de l’application du principe de précaution en sécurité alimentaire au Canada

Le principe de précaution est apparu en Allemagne au cours des années 70, et a été introduit sur la scène internationale au début des années 80. S’il se limitait au départ à des questions environnementales, son champ d’application s’est élargi considérablement par la suite. En outre, depuis la survenance de nombreuses crises alimentaires récentes en Europe, le principe de précaution a rapidement gravi les échelons de l’agenda politique pour figurer dans des législations relatives à l’alimentation et à la santé.

Le principe de précaution a connu un succès d’opinion si notable que son usage en est devenu parfois incantatoire. Ignoré par les uns, adulé par les autres, il a été – et demeure encore – un principe très controversé qui traduit sur la scène internationale de profondes dissidences étatiques.

Au-delà des conflits portant sur sa définition et sur son contenu conceptuel, de réelles convictions peuvent servir de guide : au dicton « dans le doute, abstiens-toi », le principe de précaution substitue l’impératif « dans le doute, mets tout en oeuvre pour agir au mieux ». De ce fait, le principe de précaution – qui intervient lorsque les États et les gouvernements souhaitent prévenir certains risques malgré l’absence de preuves scientifiques irréfutables sur l’existence d’un lien de causalité certain pouvant causer un dommage potentiel – sert une action plutôt qu’une inaction.

En outre, le principe de précaution, qui revient à considérer que des mesures de sécurité peuvent être nécessaires avant d’obtenir la preuve concrète d’un dommage, constitue une gestion active du risque plutôt qu’une démission devant le risque. Il introduit conséquemment une dynamique qui permet de « sortir de l’impasse » en incitant le développement des connaissances. Ainsi, même si le principe de précaution est encore mal défini sur la scène internationale, tout porte à croire que le Canada aurait grand intérêt à l’adopter de manière formelle.

Cette adoption doit se faire à travers une démarche résolument opérationnelle. Une fois que les conditions d’application du principe de précaution sont clairement déterminées (décisions proportionnées, non discriminatoires, transparentes, cohérentes, provisoires et avec une analyse coûts/avantages), un processus de prise de décision structuré, fondé sur des données scientifiques détaillées et autres informations objectives, doit se mettre en place.

Le principe de précaution est donc encadré par une démarche scientifique qui se caractérise par une analyse du risque en trois étapes : évaluation, gestion et communication du risque. L’étape de la communication du risque qui s’insère dans une démarche d’analyse du risque, est particulièrement importante, car elle permet l’échange interactif d’informations et d’idées entre les évaluateurs, les gestionnaires du risque, les consommateurs, l’industrie, la communauté universitaire et les autres parties intéressées.

En d’autres mots, la communication du risque assure le lien de confiance entre les pouvoirs publics et les citoyens. La communication du risque constitue une responsabilité fondamentale des pouvoirs publics, et de ce fait, elle doit faire l’objet d’une évaluation. Au Canada, le principe de précaution a sa propre valeur normative. Cela signifie que les tribunaux administratifs canadiens peuvent intervenir afin de vérifier si le processus adopté par les gouvernements favorise le dialogue et les débats nécessaires à la prise de décision. Un examen de la situation révèle que le Canada doit améliorer sa stratégie de communication du risque, notamment en ce qui concerne l’information scientifique et l’étiquetage des produits alimentaires.

C’est sur la responsabilité des décideurs publics que l’influence du principe de précaution est à priori la plus vraisemblable (droit administratif), mais il est possible d’imaginer qu’elle puisse être partagée prochainement avec ceux qui influent la décision, comme les scientifiques et les entreprises qui développent un produit ou un procédé.

À cet égard, le principe de précaution devrait aussi avoir sa place dans la sphère de la responsabilité civile stricte : appliquer le principe de précaution en droit civil reviendrait à abolir le critère de prévisibilité et donc, à transformer la responsabilité pour faute en une responsabilité stricte, ce qui n’est pas encore le cas. En revanche, la redéfinition de la faute pénale dans un sens plus étroit postule l’abandon du principe de précaution dans ce domaine, car courir le risque d’une sanction criminelle sans responsabilité pénale reconnue ne repose sur aucun fondement solide et apparaît complètement anachronique.

En conclusion, le principe de précaution, lorsque bien encadré, est un véhicule social considérable qui représente une réelle évolution démocratique de la société. Il garantit au consommateur son droit le plus strict à l’information. Il lui permet d’avoir accès à une information fiable lui permettant de faire des choix éclairés. Ainsi, comme le souligne si justement Bruno Latour :

« Le sens profond du principe de précaution vient de ce que le laboratoire a maintenant la dimension du monde luimême et qu’il n’est plus réduit aux bornes étroites des enceintes sur lesquelles veillaient jusqu’ici les blouses blanches[…] Loin d’être irrationnel, comme on le dit parfois pour s’effrayer, le principe de précaution permet de passer d’une raison courte, bien peu au fait des sciences telles qu’elles se pratiquent et de leurs liens innombrables avec la culture, à une raison longue qui va nous obliger, dans les années qui viennent, à réécrire ensemble les règles de la méthode expérimentale. En attendant, il ne serait pas inutile pour clarifier les choses, de proposer comme synonyme au principe de précaution, l’expression de « science expérimentale collective » ou, mieux encore, de « principe de bon gouvernement ».