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Le recouvrement des créances. Une technique dépassée ?

Appels à des heures indues, harcèlement, intimidation, menace… voilà ce qui vient à l’esprit de plusieurs lorsqu’il est question des pratiques des agences de recouvrement. Aujourd’hui, y a-t-il encore des agences de recouvrement qui agissent de la sorte ? Les entrevues que nous avons réalisées avec 23 consommateurs « en recouvrement » ainsi qu’avec des personnes qui les côtoient dans le cadre de leur travail démontrent que oui. Ainsi, sur les 20 consommateurs qui avaient reçus des appels au sujet du recouvrement de leur créance, près de la moitié ont affirmé que, pendant une certaine période, on les avait appelés plus d’une fois par semaine et cinq ont mentionné qu’on les avait appelés plusieurs fois par jour.

Sur l’ensemble des personnes interviewées, 14 ont mentionné que l’entreprise ou l’agence qui avait communiqué avec eux avait eu une attitude incorrecte (l’agent qui leur avait parlé avait notamment été dur, agressif ou impoli). Enfin, 20 consommateurs ont mentionné que l’expérience leur avait fait vivre beaucoup de stress. Les entrevues que nous avons réalisées, tant avec des consommateurs qu’avec des spécialistes, nous ont aussi permis de constater dans quelle impasse se trouvent les personnes qui font face à une agence de recouvrement.

Pris au piège, les consommateurs (souvent à faible revenu) sont émotifs, stressée, voire dépressifs. L’arrivée d’une agence de recouvrement dans leur vie n’est qu’un événement malheureux de plus. C’est alors qu’on leur réclame, parfois à hauts cris, une somme qu’ils n’ont pas la capacité de payer. Comment les choses pourraient-elles être améliorées ?

À la recherche de réponses, nous avons parcouru les lois de trois provinces canadiennes ainsi que la liste harmonisées des pratiques interdites que les provinces se sont engagées à respecter. Nous avons constaté que, bien que certaines règles devraient être modifiées afin de s’adapter à la réalité d’aujourd’hui, les lois et règlements offrent généralement aux consommateurs une bonne protection. Mais que leur application laisse parfois à désirer. Nous avons aussi jeté un coup d’œil attentif à la loi américaine. Cela nous a permis de constater que cette loi est plus détaillée que les trois lois québécoises étudiées, notamment en ce qui a trait à la description des gestes de harcèlement, des représentations fausses et trompeuses et des pratiques inéquitables (unfair).

Selon nous, cette loi pourrait donc servir de modèle pour améliorer les lois provinciales ou encore aider à les interpréter. Que les agents de recouvrement suivent la loi à la lettre serait une bonne chose. Qu’ils suivent des règles qu’ils ont eux-mêmes mises en place serait encore mieux. Afin de connaître quelles sont les règles de conduite qu’ils se sont eux-mêmes dictées, nous avons parcouru attentivement quatre codes d’éthique provenant respectivement du Québec, de l’Ontario, des États-Unis et de la Belgique. Cela nous a permis de constater que, au Québec, l’organisme qui représente les agences de recouvrement s’est doté d’un code fort mal adapté à leur situation de ses membres.

Par ailleurs, les trois autres codes pourraient servir de modèle pour les organismes qui regroupent des agences de recouvrement. Ces règles dépassent parfois la simple règle de conduite. Ainsi, dans le code belge, on mentionne qu’il faut « aboutir à une solution positive en prenant en considération les problèmes socio-économiques éventuels du débiteur. » Voilà qui est inspirant ! Les entreprises désireuses de récupérer les sommes qui leur sont dues ont-elles d’autres solutions que d’opter pour le recouvrement traditionnel ? Une expérience menée chez Hydro-Québec démontre que c’est le cas. En effet, depuis quelques années, la société d’État a mis en place un programme destiné à sa clientèle à faible revenu qui a du mal à rembourser sa dette. En vertu de ce programme, le service de recouvrement d’Hydro-Québec prend, avec certains consommateurs, une entente particulière.

Dans certains cas, elle accepte même de réduire la dette, voire de l’effacer. Faits intéressants : ces ententes ne coûtent pas à la société d’état un sous de plus que le recouvrement traditionnel. Et elles lui permettent d’augmenter le taux de satisfaction de sa clientèle et de redorer son image. Toutes les entreprises pourraient-elles agir de la sorte?

L’expérience de Gaz Métro, que nous relatons également, peut faire croire que ce n’est pas le cas. En effet, dans le but de rendre les pratiques de son service de recouvrement plus humaines, l’entreprise a mis en place un projet pilote dont les résultats ont été désastreux. Cela a au moins le mérite d’avoir mis en lumière certains dangers. Et de nous permettre de constater que, pour réussir une telle expérience, il faut avoir en main certains éléments précis.

Fort de l’expérience de ces deux entreprises, nous avons dressé une liste des éléments qui favorisent la réussite de tels projets. Parmi eux, mentionnons des employés formés adéquatement et sensibles à ce que vivent les personnes à faible revenu, des participants au courant de la démarche et intéressés à y participer ainsi que la présence d’une association de consommateurs agissant à titre d’intermédiaire.

Les commentaires de certains intervenants nous ont fait réaliser que, pour que les pratiques abusives dont sont victimes les consommateurs cessent, il faudra plus que des programmes. Certaines solutions ont été évoquées, comme de l’aide directe aux consommateurs à faible revenu ainsi que des mesures permettant de s’attaquer aux causes de la pauvreté. Au moment d’écrire ces lignes, des organismes avaient commencé à faire des pressions en ce sens. Espérons qu’elles porteront fruit.