Les critiques faites aux entreprises par l’entremise des médias sociaux et des plateformes numériques : une voie de justice alternative pour les consommateurs ?
Le partage instantané d’informations et d’opinions qu’offre le numérique change indubitablement la donne dans l’univers de la consommation. Les consommateurs peuvent désormais échanger plus facilement entre eux sur leurs expériences clients, ce qui tend à faciliter les choix de consommation éclairés. Cette possibilité de communiquer leurs avis en ligne constitue une composante protégée par leur liberté d’expression. Or, certaines entreprises cherchent à restreindre cette expression, en invoquant leur droit à la sauvegarde de leur réputation commerciale. Les poursuites en diffamation intentées contre des consommateurs ayant utilisé les plateformes numériques pour critiquer leurs produits ou leurs services ont connu une augmentation au cours des dernières années.
Devant cet affrontement entre deux droits fondamentaux, d’un côté la liberté d’expression du consommateur, de l’autre le droit à la réputation de l’entreprise, le juge doit s’efforcer de trouver un juste équilibre. Le recours en diffamation mobilisé par les entreprises paraît toutefois mal adapté au contexte actuel de l’utilisation accrue des médias sociaux et des plateformes numériques comme forme d’expression. La liberté d’expression du consommateur occupe une place marginale dans l’application des critères juridiques applicables en matière de diffamation. Des dommages-intérêts, représentant des sommes exorbitantes pour les consommateurs, sont aussi accordés aux entreprises, sans preuve claire du préjudice subi. La responsabilité de l’entreprise elle-même dans la détérioration de sa réputation, découlant par exemple du piètre service à la clientèle ou de la mauvaise qualité des biens offerts, brille par son absence du débat.
Les tribunaux hésitent de plus à considérer que les avis en ligne servent l’intérêt public. Les participants au groupe de discussion reconnaissent pourtant que leur principale motivation à publier un avis en ligne vise à mettre en garde les autres consommateurs et à inciter les entreprises à abandonner leurs mauvaises pratiques. Par ailleurs, l’utilisation des plateformes numériques constitue parfois une voie de justice alternative pour les consommateurs, qui méconnaissent les protections et les recours offerts en droit de la consommation ou qui se heurtent aux problèmes récurrents d’accès à la justice.
Les conditions d’utilisation des plateformes numériques n’apportent guère de protections aux utilisateurs. Les clauses d’exonération de responsabilité des plateformes quant au contenu publié font reposer l’entière responsabilité sur le consommateur. Le peu de balises encadrant les mécanismes de surveillance du contenu et de retrait des publications devient un puissant outil de censure des consommateurs. Les participants rencontrés admettent qu’ils ne prennent pas toujours la peine de lire ces conditions d’utilisation, souvent très complexes, et qu’ils comprennent mal les principes juridiques régissant le recours en diffamation.
Ce rapport a ainsi pour objectif d’informer les consommateurs sur les risques associés aux critiques en ligne et de mieux définir les balises à l’intérieur desquelles ils peuvent exprimer leurs avis face à une entreprise. Il propose une conciliation plus harmonieuse entre la liberté d’expression du consommateur, l’intérêt de la société à échanger sur les expériences en droit de la consommation et le droit de l’entreprise de préserver la réputation qu’elle mérite. Il convient enfin d’insister sur l’importance de renseigner la population sur les droits et recours en droit de la consommation et sur les modes alternatifs de règlements des litiges disponibles dans un cas de poursuite en diffamation par une entreprise.