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Promotion des produits locaux : un grand ménage s’impose

Photo: Mehrad Vosoughi (Unsplash)

Vous croyez qu’en faisant la promotion des produits locaux, les chaînes d’épiceries mettent de l’avant des aliments sains ? Ce n’est pas toujours le cas.

Depuis le début de la pandémie, l’achat local a gagné en popularité partout au Canada, notamment dans le domaine de l’alimentation. Au Québec, les supermarchés mettent plus que jamais en vedette ces produits dans leurs prospectus (communément appelés circulaires). Ils les identifient alors à l’aide des logos de l’organisme Aliments du Québec ou encore d’un logo maison comme Super Québec (de la chaîne d’alimentation Super C) et Produits d’ici (de la chaîne d’alimentation Metro). Une bonne chose ? Pas toujours, selon l’étude intitulée Portrait de la promotion des aliments québécois dans les circulaires des épiceries réalisée par la Coalition québécoise sur la problématique du poids (Coalition Poids), un organisme québécois voué à la promotion des saines habitudes de vie.

Le problème, c’est que les produits identifiés par ces logos ne sont pas tous bons pour la santé, loin de là. « Dès que le gouvernement a incité la population à acheter local, on a commencé à voir de nouvelles stratégies de marketing dans l’industrie alimentaire, dit Corinne Voyer, directrice de la Coalition Poids. Alors qu’avant la pandémie, on voyait très peu ces logos dans les circulaires, maintenant, on les voit partout. Et souvent ils servent à promouvoir des produits très riches en sucre, en sel ou en gras, souvent élaborés par de grandes entreprises, voire des multinationales. »

Les prospectus sont des outils de promotion fort utiles pour les supermarchés. Selon un sondage mené en mai 2020 pour le compte de Nielsen, 80 % des Québécois les consultent avant de faire leur épicerie. Selon Mme Voyer, cette proportion pourrait même avoir augmenté avec la pandémie.Bien des gens ont perdu leur emploi ou ont des difficultés sur le plan économique, dit-elle. Il est certain qu’ils sont à la recherche du panier le moins cher. »

Corinne Voyer, directrice de la Coalition québécoise sur la problématique du poids

Ce qui interpelle la spécialiste, c’est qu’un autre sondage, réalisé en octobre 2020 par la firme Léger pour le compte de l’Association pour la santé publique, indique que plus de trois Québécois sur quatre croient que consommer des aliments locaux est bénéfique pour leur santé. « Il faut que les gens sachent que ce n’est pas vrai, dit-elle. Avec notre étude, nous voulons éveiller tant la population que les acteurs politiques. »

Selon Corinne Voyer, de telles associations d’idées boiteuses ne sont pas rares. « C’est le phénomène du halo santé, dit-elle. Pour valoriser des produits qui ne devraient être consommés qu’à l’occasion, on met en valeur certains de leurs attributs. Par exemple, sur l’emballage de barres tendres ou de céréales à déjeuner, on appose des allégations du genre ‘riche en fer’, alors que le premier ingrédient est du sucre… »

Ce halo santé contribue à faire augmenter la consommation d’aliments qu’il faudrait au contraire éviter. Et c’est plus vrai que jamais dans un contexte de pandémie. L’étude de la Coalition Poids révèle que déjà, dans les deux semaines suivant l’annonce de l’état d’urgence sanitaire, un Québécois sur quatre rapportait « une diminution de la qualité globale de son alimentation et le tiers indiquait consommer davantage de malbouffe (boissons sucrées, bonbons, croustilles et fritures) ».

D’après Mme Voyer, le gouvernement fédéral devrait mieux encadrer les aliments ultra-transformés. Et, surtout, rendre rapidement obligatoire l’étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages. « Selon nous, il s’agit de l’initiative la plus porteuse », dit-elle. Rappelons qu’avec ce type d’étiquetage, le consommateur pourra voir dans l’instant et d’un seul coup d’œil la teneur en gras, en sucre et en sel de chaque aliment, ce qui pourrait avoir pour effet d’influencer son choix.

Corinne Voyer déplore que cet étiquetage, qui a été conçu il y a quelques années déjà, n’ait pas encore été mis en place.

« Avec la pandémie, le gouvernement aurait pu accélérer les choses, dit-elle. Ce nouvel étiquetage aurait permis aux gens de faire leur épicerie plus rapidement, sans toucher aux produits. Mais l’industrie alimentaire fait énormément de pression pour que ça n’arrive pas. » Selon la spécialiste, l’étiquetage simplifié et immédiatement visible aura aussi pour avantage d’inciter les entreprises à améliorer leurs produits, aucune ne voulant être jugée négativement sur l’un de ses emballages.

D’autres solutions existent également. Par exemple, le gouvernement pourrait mieux encadrer la promotion d’aliments ultra-transformés, comme cela se fait déjà au Royaume-Uni (où l’on interdit de placer ces produits au bout des allées ou près des caisses, ou encore de les vendre selon la formule du « deux pour un »). Il pourrait aussi interdire certaines allégations ou certains logos qui ont pour effet d’induire le consommateur en erreur.

La spécialiste croit aussi que l’octroi de subventions devrait être revu en tenant compte de la qualité des aliments proposés.« Il y a des entreprises qui réussissent à avoir du financement pour lancer une nouvelle boisson énergisante. Peut-être qu’on pourrait les laisser se débrouiller toutes seules… Ou leur donner un peu moins d’argent qu’à celles qui préparent des légumes précoupés… C’est ce qu’on veut voir dans l’assiette des Québécois qui mérite d’être subventionné… »

Corinne VoyerPour Corinne Voyer, il est urgent d’agir car il y a là un enjeu de santé. « On ne dit pas au gouvernement qu’il ne faut jamais valoriser les aliments d’exception, dit-elle. Mais présentement, ces aliments, qu’on ne doit manger qu’à l’occasion, prennent toute la place. » Et cela a des effets considérables. « Aujourd’hui, un Québécois sur deux souffre d’au moins une maladie chronique. Et la mauvaise alimentation y est pour beaucoup. Si on ne s’attaque pas à ce problème à la source et qu’on n’offre pas une alimentation saine et de qualité, les contribuables vont continuer à payer pour ce système qui les rend malades. »

L’étude

Portrait de la promotion des aliments québécois dans les circulaires des épiceries (Coalition québécoise sur la problématique du poids, 2021) étudie quelque 1000 aliments présentés dans les prospectus des plus grandes chaînes d’alimentation ayant pignon sur rue au Québec à l’automne 2020. Ces aliments étaient tous identifiés comme provenant du Québec grâce à un logo (celui d’un organisme de certification ou d’une chaîne d’alimentation). Une analyse nutritionnelle de certains de ces produits a également été effectuée.